Ce que l’Extrême-droite fait à l’école

Ce que l’Extrême-droite fait à l’école

Par Laurence De Cock

« L’islam radical est entrain de prendre le pouvoir petit à petit dans des centaines d’établissements […] où l’on ne peut enseigner ni la Shoah, ni le plan des cathédrales, ni les croisades, ni parler de Chrétien de Troyes, ni passer un morceau de musique, ni manger un sandwich au jambon pendant le ramadan ».

Ce diagnostic un tantinet anxiogène et fortement grotesque et raciste nous est offert par Roger Chudeau, député RN pressenti comme Ministre de l’Éducation nationale en cas de victoire de l’extrême-droite, à l’occasion d’un entretien accordé au média Frontières fin 2003.

Comme on le voit, et selon une expression désormais bien rôdée, « on ne peut plus rien dire », ou plutôt rien enseigner à l’école.

Des enseignants sous « vigilance »

Le problème étant que lorsque les professeurs enseignent, cela ne semble pas convenir à l’extrême-droite non plus. Depuis quelques années, le pli a été pris, par certains groupes de pression liés à l’extrême-droite, de dénoncer publiquement les pratiques d’enseignants qui vont à l’encontre de leurs convictions politiques.

En 2022 par exemple, une professeure de philosophie de Valenciennes s’était faite alpaguer sur les réseaux sociaux par des parents zemmouriens car elle envisageait une sortie scolaire auprès d’une association d’aide aux migrants. Harcelée, menacée de viol et de meurtre, son nom, son établissement, son adresse et son visage ont été jetés en pâture par des parents se prétendant « vigilants » et fustigeant le « militantisme » (évidemment de gauche) de l’enseignante.

Depuis quelques années, cette mécanique est bien huilée. On ne compte plus les collègues dont les cours se retrouvent sur les réseaux sociaux, très largement commentés par des « haters » qui « doxent » (révèlent le nom de l’enseignant.e) ou donnent les noms des écoles.

Les thématiques concernées sont toujours les mêmes : enseignement de l’histoire oud e la géographie de l’immigration, de la colonisation, de l’islam ou encore de l’éducation à la vie affective et sexuelle (EVARS). Les enseignants se voient alors accusés d’être des « dhimmis », « immigrationnistes », « islamophiles », « complices des djihadistes », et, plus prosaïquement « islamo-gauchistes » depuis que l’idée a été popularisée par Jean-Michel Blanquer lui-même.

Face à ces attaques et menaces, l’institution reste comme pétrifiée. Généralement, elle mandate immédiatement une inspection pour s’assurer que tout va bien du côté de l’enseignant attaqué. C’est donc un retournement de la culpabilité et une double peine : tout se passe comme si l’institution commençait par accorder crédit aux critiques des groupes de parents et qu’elle souhaitait les rassurer. On croit rêver.

Même la protection fonctionnelle n’est pas systématique, il n’existe pour le moment aucun protocole automatique, ce qui laisse toute latitude au rectorat d’apprécier la situation. On aimerait vraiment savoir à partir de quand une attaque en règle de représentants du service public par des « mamans louves » ou « parents vigilants » mérite d’être examinée avant toute décision de protection.

Bref, ce n’est rien de dire que tout reste à bâtir pour sécuriser au maximum la liberté pédagogique des enseignants.

Le pouvoir ne nous aide guère mais aide volontiers le RN

Dans le domaine de l’école, les porosités entre la Macronie et l’Extrême-droite sont aussi légions. D’ailleurs, à plusieurs reprises, Marine Le Pen s’est félicitée de voir son programme appliqué. Que l’on songe aux groupes de niveaux qui font exploser le collège unique (une proposition du RN), de l’enseignement du récit national réclamé par Bruno Retailleau estimant qu’il faut faire aimer la France aux enfants (une proposition du RN), de l’enseignement des « fondamentaux » (une proposition du RN), de la généralisation du SNU ou toute autre forme d’activités qui commencerait par un lever au drapeau sur fond de marseillaise, de l’adoption de l’uniforme etc.

Il faut admettre aussi que la porosité des enseignants au discours d’extrême-droite est une réalité si l’on en croit les derniers sondages qui portent à 22 % le vote enseignant en faveur du RN.

C’est aussi parce qu’ils se sentent pousser des ailes que leur vision de l’enfance s’impose désormais sans garde-fou. La généralisation de la posture répressive vis à vis  la jeunesse est aujourd’hui très largement portée par la Macronie ; que l’on songe à la répression policière des révoltes de jeunes, à la réforme de la justice pénale des mineurs portée par Gabriel Attal qui revient même sur l’idée d’une justice propre aux mineurs ; ou à la surenchère des mesures sécuritaires pour enrayer les agressions ou crimes commis par des jeunes dont le nombre devient inquiétant : fouille des sacs, portiques, judiciarisation immédiate des actes répréhensibles internes aux établissements etc.

On est à aussi en plain paradigme ultra-droitier écrasant des deux pieds toute approche préventive et éducative.

Que faire ?

Il faut le dire clairement : sous prétexte de la protéger, l’extrême-droite agresse l’enfance, elle prive les enfants de leur reconnaissance en tant qu’enfants. C’est une énorme régression. Toute l’histoire le prouve, les régimes autoritaires se sont toujours attachés à endoctriner les enfants dont ils avaient besoin et à éliminer les enfants indésirables. Sa focalisation sur l’enfance, et donc sur l’école, est une manière de contracter une assurance vie en se projetant dans l’avenir. C’est pourquoi partout où l’extrême-droite a été ou est encore au pouvoir, elle jette son dévolu sur les enfants et les contamine. L’abominable crime à Nogent en est l’exemple le plus récent, le collégien qui a poignardé l’assistante d’éducation faisait des saluts nazis.

Il faut donc inverser le récit en donnant à voir cette agression. Les « mamans louves » ou « parents vigilants » ne protègent pas les enfants, ils les violentent en les préparant à s’agenouiller devant l’autorité. L’ONED doit pouvoir contribuer à ce décryptage politique.

De même, il sera dans son rôle de tisser des liens avec des associations ou collectifs d’enseignants qui se sont aussi constitués sur ces enjeux : la CAALAP (coordination antifasciste pour l’affirmation des libertés académiques et pédagogiques), le collectif Aggiornamento Histoire-Géo, par exemple. Car c’est dans le collectif que réside toute possibilité de résistance. Les enseignants ne doivent pas rester seuls.

L’ONED, avec d’autres associations et syndicats doit également contribuer à réfléchir à un protocole de protection des enseignants contre les attaques de l’extrême-droite et, pour commencer, se propose de recevoir des signalements (voir sur son site)

Enfin, l’ONED propose aussi, à l’aide de son conseil scientifique, de travailler à des comparaisons avec les politiques d’extrême-droite ailleurs dans le monde afin de prévenir ce qui pourrait avoir lieu ici.

Nous pensons que c’est par ce travail d’appel à l’intelligence et à la conscience collectives que se construira une lutte antifasciste dans et hors l’école.