Soirée de lancement de l’ONED – Bourse du travail, Paris – 19 mars 2025
Intervention de Léo WALTER – instituteur, syndicaliste, insoumis.
Ancien député LFI des Alpes-de-Haute-Provence.
Bonsoir à toutes et à tous.
On m’a demandé, pour cette soirée de lancement de l’Observatoire National de l’Extrême Droite dont j’ai l’honneur d’être le trésorier, d’intervenir sur la question de l’extrême droite en ruralité.
Le titre de cette intervention, « Entendez-vous dans nos campagnes ? » a été proposé par notre vice-présidente, Laurence De Cock. On aurait pu tout aussi bien l’appeler : « Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? » Ces temps-ci, malheureusement : oui, on l’entend bien.
Mais je voudrais tout d’abord répondre à la petite musique que l’on entend aussi dernièrement, celle qui prétend que la gauche, et en particulier La France Insoumise, aurait abandonné la ruralité au profit des quartiers populaires et des grandes conurbations. Alors : non. Je demande le respect pour les centaines, pour les milliers de militant·es qui, partout dans les départements ruraux, se battent au quotidien avec courage et détermination.
J’habite dans un petit village de 283 habitant·es, qui appartient à une communauté de communes de moins de 10000 âmes, dans un département, l’un des plus étendu de France métropolitaine, qui en compte 166000 : à peine un arrondissement parisien. La plus grosse ville, chez moi, compte 22000 habitant·es. On peut difficilement faire plus rural.
Eh bien, comme on dit : on est là. On y combat l’extrême droite et ses idées mortifères. Ce n’est pas parce que c’est sans doute un peu plus difficile qu’ailleurs que l’on n’y mène pas la lutte avec autant d’ardeur. En 2012, 2017 et 2022, on a fait arriver Jean-Luc Mélenchon en tête dans de très nombreuses communes de mon département.
En 2017, on a atteint le second tour des législatives. En 2022, on l’a emporté. Et, avantage collatéral, on a débarrassé le paysage politique de Christophe Castaner, excusez du peu. Alors certes, en 2024 on a perdu face à l’alliance Ciotti/Bardella. Mais on continue le combat, et on est bien décidé à gagner à nouveau la prochaine fois – le plus tôt sera le mieux.
Je voudrais également battre en brèche une autre idée reçue qui a la vie dure : celle qui voudrait que les besoins des habitant·es des zones rurales seraient fondamentalement différents de ceux des gens des villes. Chez moi et dans les quartiers populaires, on souffre des mêmes maux : disparition des services publics, déserts médicaux, fermeture des urgences, difficultés d’accès à l’emploi ou au logement…
L’extrême droite en ruralité, d’ailleurs, c’est comme partout. Pour paraphraser Brassens, « nous au village aussi l’on a » des groupuscules violents. L’OAS, qui avait menacé Jean-Luc Mélenchon d’assassinat politique, comptait l’un de ses membres les plus investis à Forcalquier. L’arsenal du groupe était stocké chez lui. En 2016, membre alors du Parti de France, il appelait au meurtre de jeunes leaders lycéens sur les réseaux sociaux. Et aujourd’hui, dans nos lycées ruraux, l’Action Française et d’autres groupuscules fascistes recrutent.
Eric Zemmour est venu deux fois tenir l’université d’été de Reconquête ! dans le 04. Aux dernières législatives, le RN et l’UDR ont remporté les deux circonscriptions. Et la droite traditionnelle qui tient les rênes de toutes les collectivités locales (la Région où depuis 2015 et le désistement de la liste socialiste de Castaner – encore lui – il n’y a plus que LR et le RN ; le département ; toutes les grandes villes et communautés de communes) s’enferme dans un ni-ni mortifère qui considère quand même que l’extrême droite est préférable à la gauche radicale.
Mais il est vrai qu’il y a aussi quelques spécificités en ruralité, dont il faut tenir compte si l’on veut combattre, efficacement, l’extrême droite et ses satellites.
La première, il me semble, c’est la puissance du mouvement des Gilets Jaunes, et la trace qu’il y a laissé. Je suis fier d’appartenir à la première section, dans mon syndicat comme dans mon mouvement politique, à avoir appelé à rejoindre massivement les ronds-points, et ce dès le 24 novembre 2018. Cela a permis d’y combattre, pied à pied, les poncifs racistes de certain·es ; mais aussi de ramener à la lutte politique celles et ceux qui s’en tenait soigneusement éloigné·es.
La seconde, c’est l’existence d’une extrême droite agricole. Si ce n’est pas le cas partout, chez moi en tout cas la Coordination Rurale s’est créée pour s’opposer à la FNSEA qui refusait sur ses barrages les propos racistes comme le soutien du député Lepéniste. La CR 04 est clairement une courroie de transmission du RN. Dénoncer cette collusion, soutenir les camarades de la Confédération Paysanne, mais aussi garder le lien avec la FDSEA, sont des axes de lutte efficaces.
La troisième, c’est le confusionnisme qui prospère, dans un département comme le mien où les néo-ruraux sont nombreux, sur la volonté d’échapper à la société de consommation. Sous couvert de médecine alternative, d’école alternative, d’économie solidaire, ils et elles organisent, souvent de bonne foi, des événements où les intervenant·es sont, oh surprise, toustes issu·es de l’extrême droite. Cela est d’autant plus marqué depuis la crise CoVid et la méfiance qu’elle a engendré envers tout discours politique.
Car l’extrême droite avance aussi masquée : l’écocofascisme, le survivalisme ou l’accélérationnisme en sont des avatars pas toujours immédiatement discernables, et qui peuvent séduire des gens se pensant sincèrement de gauche. Dans la Nièvre, en Ardèche, dans l’Hérault et ailleurs, les « Zones Identitaires à Défendre » d’Alain Soral, Julien Rochedy ou des « Brigandes » sont des lieux où l’on promeut les concepts de « biocivilisation » et de « grand remplacement » ; et où l’on s’entraîne à la guerre civile.
Enfin, il y a des thématiques qui, à la campagne, sont plus difficile à aborder quand on est de gauche plutôt que d’extrême droite : la place de la voiture, le développement des énergies renouvelables, le « Zéro Artificialisation Net » posent de vrais soucis face auxquels le discours simpliste et anti-État des fachos est autrement plus aisé à dérouler que les réflexions complexes qui nous animent.
Alors, comme dirait l’autre : que faire ?
Une étude électorale de mes camarades Thibault Lhonneur et Axel Bruneau sur la « France des sous-préfectures » (qui si elle ne correspond pas uniquement à la France rurale, en recouvre une bonne part) a montré que 49 des 89 circonscriptions législatives remportées par le RN en 2022 l’ont été dans cette France qu’ils refusent – et moi avec eux – de qualifier de périphérique. Fait amusant (ou non) : ces 49 circonscriptions ont toutes, sans exception, suivit le même parcours. Député·e socialiste en 2012, député·e LREM en 2017 (parfois le ou la même, d’ailleurs), député·e RN en 2022. C’est le premier enseignement que je souhaite que l’on retienne : quand on fait de la « gauche » de droite, on offre le pouvoir à l’extrême droite.
Tout au contraire il faut rester ferme sur nos valeurs, et même si c’est parfois rugueux (ceci est une litote), ne rien lâcher sur l’antiracisme, le féminisme, la lutte contre la LGBTphobie ou la défense des plus vulnérables. Spoiler-alert : ce n’est pas en reprenant tout ou partie du discours d’extrême droite qu’on le combat. C’est en le combattant, justement, tout le temps et partout.
Il faut aussi, infatigablement, dénoncer l’imposture du RN et de ses affidé·es, dont la soi-disant défense des opprimés est démentie chaque jour par leurs votes contre la hausse du SMIC, contre la taxation des super-profits, contre la retraite à 60 ans… On en a eu une illustration encore tout récemment avec leur amendement durcissant la taxation des auto-entrepreneurs. Il faut le faire savoir, et sans relâche.
Il faut ensuite être utiles, au quotidien : en intégrant les conseils municipaux, les comités des fêtes, les associations, les syndicats. En organisant des collectes alimentaires, des réseaux de solidarité ; mais aussi des fêtes et des lieux de loisirs. Montrer que celles et ceux qui luttent sont aussi celles et ceux qui font, et que ça peut être joyeux !
Bref : pour militer en ruralité, il faut vivre et travailler en ruralité. Dans les petites communes, tout le monde se connaît. À nous de faire en sorte que ce soit nous qu’on connaisse, et nos idées qui y infusent.
Ce 22 mars, dans les Alpes-de-Haute-Provence, nous manifesterons contre le racisme et le fascisme. Nous nous retrouverons à Manosque, devant le monument aux martyrs de la Résistance des Basses-Alpes. Car c’est bien de cela qu’il est question : de résistance.
Ne lâchons rien, luttons, même si c’est parfois rude les jours heureux sont au bout du chemin. Et puisque j’ai commencé avec le Chant des partisans, j’en terminerai avec lui : « Chantez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute ! »
